dimanche 15 janvier 2012

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où une joueuse de tennis mit le monde en émoi sans pourtant savoir jouer.


En septembre 1976, un jeune étudiant en photographie de l'Université de Birmingham, du nom de Martin Elliott, prit une photo qui allait changer sa vie et la vision générale des gens sur les joueuses de tennis. Assez fier de son cliché, il le proposa à une maison d'édition qui était en train de travailler à un calendrier célébrant le Jubilé de la reine Elizabeth II. La joueuse britannique Virginia Wade venait de remporter Wimbledon, une jeune femme raquette à la main fut donc jugée fort à propos.

Non seulement le calendrier fut un succès, mais la photo de Martin Elliott devint si populaire que la maison d'édition Athena, qui était en train de révolutionner le marché de l'image en Angleterre en proposant, dans sa boutique de Londres et par correspondance, des posters à des prix défiant toute concurrence, lui proposa de l'éditer. Lancé en 1977 sous le nom de "Tennis Girl", le poster se vendit en quelques mois à deux millions d'exemplaires, du jamais vu et à ce jour, toujours le poster le plus vendu dans le monde après celui de Farrah Fawcett en maillot.

Martin Elliott, sa vie, son oeuvre.

A présent punaisé dans la plupart des chambres d'adolescents de Grande-Bretagne et d'ailleurs, le poster continua d'intriguer, d'autant que l'identité du modèle demeurait secrète. S'agissait-il d'une véritable joueuse, peut-être célèbre ? D'une playmate ? Tout le monde se mit à connaître quelqu'un qui connaissait quelqu'un qui connaissait la vérité, qui n'éclata que 25 ans plus tard de la bouche de Martin Elliott lui-même.

C'est en effet à l'occasion d'une interview en 2001 que le photographe expliqua malicieusement que sa Tennis Girl n'était autre que sa petite amie d'alors, Fiona Butler, âgée de 18 ans, qui lui servait parfois de modèle et qui accepta ce jour de septembre 1976 d'emprunter une robe et de passer quelques heures à poser sans culotte sur un court de l'université, en empoignant une raquette, objet qu'elle touchait pour la première fois de sa vie. La photo finale fut, d'après Elliott, le résultat conjugué du hasard et d'une lumière miraculeuse. Quant aux balles posées ça et là, elles étaient destinées à occuper le chien de Fiona entre les poses.


Aussitôt poursuivie par la presse, Fiona Butler, désormais Walker, consentit à accorder quelques interviews mais pas à se faire photographier, ce qu'elle n'accepta de faire qu'en mars de l'année dernière à l'occasion d'une très sérieuse exposition sur l'influence du tennis dans l'art. On découvrit alors une femme de 52 ans, mère de trois enfants et mariée à un entrepreneur millionnaire, qui trouvait, plus de trente ans après, toujours très amusant d'avoir été la silhouette la plus mystérieuse du Royaume et de n'avoir rien touché pour sa prestation devenue légendaire.

Car depuis 1977, la "Tennis Girl" d'Athena, récemment rééditée en tirage limité, avait gagné ses galons d'icone, une image parodiée, détournée, reprise des dizaines de fois avec plus ou moins de bonheur ou de finesse, comme le prouvent celles qui suivent :




Notons qu'il n'y eut pas que des anonymes à avoir soudainement envie de se gratter la fesse entre deux services et saluons l'assez bonne performance de Kylie Minogue pour le magazine GQ et, dans un autre genre, la plastique impeccable de Pat Cash.




Martin Elliott ne produisit aucune autre image significative. Il ouvrit un studio de photo à Birmingham et travailla jusqu'à sa retraite, rapidement suivie d'une mort prématurée en 2010. Sa veuve déclara qu'en tout et pour tout, le poster avait rapporté à son époux 250 000 livres, ayant eu l'ingénieuse idée de vendre les droits d'exploitation à Athena tout en en conservant le copyright. Vendu à l'origine 2 livres l'exemplaire, c'est assez rentable pour un poster qui surtout est toujours commercialisé.

En juillet dernier fut dévoilée à la galerie Saatchi de Londres une statue dorée et taille réelle de la "Tennis girl", réalisée par le sculpteur Ben Dearley et commanditée par Chris Nightingale, l'homme qui, chez Athena, avait acheté la photo originale à Elliott.


Travaillant à un livre sur le fameux poster, Chris, qui depuis le décès d'Elliott s'estime être le légataire de la photo, compte promener le statue dans les musées qui veulent bien d'elle et promouvoir ainsi son ouvrage à venir.



Si l'entreprise est donc avant tout mercantile, il est suave de découvrir que pour la statue grandeur nature, le sculpteur a utilisé les formes actuelles de Fiona qui passa 7 heures dans un moule en plâtre, prouvant qu'on peut, à 53 ans, avoir littéralement gardé sa taille de jeune fille.

Le résultat, qui est très doré, donne malgré tout la possibilité de découvrir enfin l'expression de la mystérieuse "Tennis Girl". Impossible avec un poster, le statue permet, en la contournant, d'observer son visage. Il sourit, d'un rictus à la Mona Lisa. D'ici à ce qu'il devienne aussi célèbre que l'envers...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

très suave cette histoire !!