dimanche 26 février 2012

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Ann Richards prit une très mauvaise décision.


Alors que l'année 1961 commence à peine, la jeune et très jolie chanteuse Ann Richards, 26 ans, est un peu circonspecte. Elle a beau tenter de relativiser sa situation, elle parvient toujours à la même interrogation : comment est-il possible qu'elle se sente si perdue quand il y a à peine trois ans, le monde semblait lui appartenir ?

Elle a bien sûr quelques éléments d'explications à ce phénomène et ce qui lui vient immédiatement à l'esprit est son récent divorce. Comme pour beaucoup d'autres personnes, se séparer de l'homme qu'elle aimait, qui plus est, père de ses enfants fut une chose très douloureuse. Et elle s'en remet plutôt difficilement.


Mais c'est encore plus compliqué lorsque votre ex-mari est également le pygmalion, l'arrangeur et le chef d'orchestre à qui vous devez votre popularité. Depuis 1955, Ann Richards était madame Stan Kenton. Elle ne l'est plus. Et soudain tout semble moins évident.

Ann a tout juste 20 ans lorsqu'elle fait la connaissance de Kenton, quelques mois seulement après avoir mis les pieds sur une scène pour la première fois. Et lorsqu'elle comprend qu'il envisage de l'engager comme chanteuse dans son orchestre, la jeune femme manque de défaillir. On la comprend.


Depuis sa création en 1941, la formation de Kenton s'est non seulement fait un nom en proposant du "jazz progressiste" mais surtout, en lançant de jeunes chanteuses qui, après être passées derrière son micro, font d'admirables carrières. Elles se nomment Anita O'Day, June Christy, Chris Connor.

Ann Richards va cependant faire un peu plus que de suivre leurs voix. Elle épouse Kenton et lui donne rapidement deux enfants. Alternant tournées comme soliste de l'orchestre et pauses maternelles, en 1958, elle signe un contrat avec Capitol et sort un premier album remarqué, suivi d'un second en 1960. "The many moods of Ann Richards est un succès. Tout va bien.


Ne nous privons pas d'écrire une fois de plus que la vie est cruelle et paradoxale : cette phrase semble avoir été inventée pour Ann Richards. En ce début de 1961, Kenton a demandé le divorce pour des raisons qui resteront à jamais mystérieuses, alors même que sort le troisième album de Ann : "Two much", sur la pochette duquel les anciens époux se sourient tendrement. Inutile de préciser qu'il fut enregistré avant la séparation.

Ann continue donc, dans l'esprit du public, d'être madame Kenton alors qu'elle ne l'est plus. Son nouveau disque porte la marque de son ancien mari sur chaque morceau qui le compose. Elle doit, de toute urgence et avant de sombrer dans la schizophrénie, se redonner une identité. Voilà pourquoi elle s'enferme aussitôt en studio et enregistre un nouvel album qu'elle a décidé d'intituler "Ann, Man !"


Sans être réellement une révolution, "Ann, Man !" s'éloigne tout de même de sa précédente image de chanteuse de big band en optant pour un ton plus intimiste. Finis les cuivres, Ann chante avec une petite formation où la guitare domine, et surtout des chansons beaucoup plus suggestives que celles auxquelles elle avait droit jusqu'alors.

Le résultat la séduit tant qu'elle embrasse totalement ce qu'elle souhaite désormais être sa nouvelle image : celle d'une femme libérée, assumant son célibat et sa sensualité. Et quoi de mieux pour cela que de poser pour Playboy ? On connaissait la chanteuse, l'épouse, la mère. On allait à présent découvrir la femme.




Le numéro qui sort en juin 1961 ne va pas exactement avoir l'effet escompté. Si on a toléré de Marilyn qu'elle pose nue pour un calendrier alors qu'elle était encore inconnue et de Jayne Mansfield qu'elle affiche ses formes en 1955 dans Playboy, devenant l'une des premières célébrités se dévêtant volontairement pour le magazine, on grince un peu des dents devant les pourtant forts charmants clichés d'Ann.

Est-ce parce qu'elle est mère ? Est-ce parce que, comme le rappelle le magazine, elle est encore dans l'esprit des gens l'épouse de Kenton, par ailleurs fort respecté ? Est-ce parce la nuisette bleue est vraiment trop bleue ? Ann Richards voulait se montrer moderne et décomplexée, elle va le payer très cher.


Il est impossible de savoir le rôle que jouera Stan Kenton dans ce qui suivra, à peine sait-on qu'en découvrant les photos de son ex-femme, il interdira à quiconque d'en parler devant lui et n'adressera plus jamais la parole à Hugh Hefner, pourtant un ami de longue date. En tout cas, suite à son apparition dans Playboy, on résiliera le contrat d'Ann avec Capitol, les portes de la plupart des théâtres et night-club se fermeront. On l'avait vue nue, on ne la verra plus du tout.

Ann Richards enregistrera son dernier album en 1964, un live au "club des losers" de Los Angeles qui s'était fait connaître sur la Cienega Boulevard en affichant, chaque semaine, le nom d'une personnalité qui s'était particulièrement ridiculisée dans l'actualité. Ironie ? Auto-dérision ? L'album sortira sur un label confidentiel pour des ventes qui le seront tout autant.



En 1982, à 46 ans, Ann Richards se suicidera d'une balle dans la tête dans son appartement de Hollywood. Eut-elle tenu un tout petit peu plus longtemps, elle aurait sans doute été touchée de la réédition en cd de ses 4 albums studio et même de la sortie d'un inédit en 1993, consacré à ses prestations live avec l'orchestre de Kenton.

Il demeure cependant quelques fans qui se souviennent d'elle, non pas simplement comme d'une femme qui eut la mauvaise idée de se déshabiller mais comme d'une chanteuse douée et malheureusement très sous-estimée. Nous ne savons pas ce qu'il en est pour vous mais la voix d'Ann nous enchante, toujours. Et c'est finalement ce qu'il y a de plus suave à retenir de cette histoire.

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