dimanche 16 septembre 2012

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où un synthétiseur relança Bette Davis.



En mai 1981, une chanson vantant le regard d'une immortelle d'Hollywood va en quelques jours se propulser en tête des ventes et des hit-parade. Non seulement ce titre va tourner en boucle pendant des mois, mais il va allègrement traverser les frontières, conquérir le monde (numéro 1 dans 31 pays), jusqu'à devenir l'un des titres les plus vendus de la décennie. L'interprète se nomme Kim Carnes et sa chanson : "Bette Davis eyes".



Si la chanson n'est en fait qu'un hommage indirect à l'interprète de "Eve" et de "l'Insoumise", elle va cependant remettre en lumière Bette Davis, qui ne remerciera jamais assez Kim Carnes pour avoir fait apparaître son nom en haut d'une affiche qu'elle n'avait jamais fréquenté : le top 100. Comme l'actrice l'expliquera, grâce à "Bette Davis eyes", elle est enfin devenue hip aux yeux de son petit-fils, ce qui est inespéré quand on a 73 ans.


Evidemment, ce succès va surtout être celui de Kim Carnes qui, loin d'être une inconnue, tentait depuis 1966 de percer véritablement dans la musique. Chanteuse mais également auteur, elle avait composé pour des gens aussi divers que Big Mama Thornton, David Cassidy, Barbra Streisand ou Kenny Rogers. Grâce à "Bette Davis eyes", on reconnaissait enfin ses talents de plume... enfin presque... et même pas vraiment.

Car "Bette Davis eyes" n'est pas du tout une composition de Kim Carnes. Ecrite en 1974 par Donna Weiss et Jackie deShannon, elle était apparue pour la première fois sur l'album "New arrangement" de Jackie, qui était, en passant, son 22e album.


Il est impossible que vous ne connaissiez pas mademoiselle deShannon même si vous pensez que tel est le cas. Chanteuse surf qui fit la première partie de la première tournée américaine des Beatles, elle était surtout et avant tout, comme Kim Carnes, un auteur à succès, dont les titres avaient été chantés par Brenda Lee, The Byrds, Randy Newman ou Marianne Faithfull.

Elle avait également, en 1965, enregistré un titre de Burt Bacharach et Hal Davis sur lequel Dionne Warwick n'eut mystérieusement pas la priorité : "What the world needs now is love". Cela reste encore aujourd'hui son plus gros succès.



Kim Carnes redonna une seconde vie à "Bette Davis eyes" en 1981 lorsqu'elle en écouta la nouvelle version qu'en avait fait enregistrer Donna Weiss, co-auteur du titre, alors qu'elle était en studio pour son nouvel album. Kim Carnes aimait la mélodie et les paroles mais trouvait l'ensemble un peu poussiéreux, jusqu'à ce qu'un de ses musiciens ne revisite le titre en le passant au synthétiseur. Soudain c'était frais, jeune, moderne, opinion qui sera partagée par des millions d'acheteurs.

Autant le dire, Kim Carnes ne renouvellera jamais l'exploit de "Bette Davis eyes" et si elle retrouvera par deux fois la première place des ventes, en 1987 et 1993, ce sera comme auteur, de "Make no mistake she's mine" pour Kenny Rogers et de "The heart won't lie" pour Reba McEntire, et pour le marché country.


L'auteur de "Bette Davis eyes", Jackie deShannon, verra dans les années 80 d'autres de ses compositions redevenir des hits, ce sera le cas pour "Breakaway", écrit en 1964 pour Irma Thomas et dont Tracy Ullman en fera une cover presque ska en 83 mais surtout pour "Put a little love in your heart" qui refera le tour du monde interprété par Annie Lennox et Al Green en 1989.


Il est finalement d'une ironie suprême que Jackie deShannon et Kim Carnes, liées pour l'éternité grâce aux yeux de Bette Davis, aient toutes deux connu leur plus gros succès grâce à des chansons composées par d'autres quand elles étaient, elles-mêmes, de très populaires compositrices, qui donnèrent à beaucoup d'artistes leurs premiers numéros 1.

"Nul n'est prophète en son pays" déclara un jour un futur crucifié. Nous nous demandons si le plus douloureux dans cette histoire, n'est pas de découvrir que Kim Carnes chassa de la tête des ventes en France Herbert Léonard et "Pour le plaisir", pour finalement se faire chasser à son tour par "La danse des canards". Et si c'était cela, finalement, le plus terrible ?

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Une version de "When You Walk in the Room", écrite par Jackie, fut interprétée par l'ex-chanteuse d'Abba, Agnetha Fältskog dans son album My Colouring Book, et fut un succès en Europe.
Kim Carnes et Barbra Streisand enregistrèrent une version femelle de "Make no mistake, he's mine", sur l'album de Barbra "Emotion", qui vaut son pesant de bigoudis chauffants.
http://youtu.be/syIOH5WFDfg

Bruno

soyons-suave a dit…

Effectivement Bruno et ce qui est, là encore, ironique, est que le duo Carnes/Streisand reçut une réaction polie alors que la version qu'en enregistra Kenny Rogers et Ronnie quelque chose devint numéro 1 :)

Anonyme a dit…

Bette Davis absente du top 100??? mais mais mais oublierait-on sa triomphale version yéyéchachatwist de "What's Happen to Baby Jane" cette merveille vocalisante qui ferait passer Mozart pour un gipsy king et la Callas pour une roue de brouette mal huilée??? Bette sur talons aiguilles croassant à qui mieux mieux en robe de mousseline turquoie pailletée valait bien la première place du top 100 de...l'audace inconsciente!
Celine la saga