dimanche 28 octobre 2012

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Lauren Bacall commit un double homicide.





















Lauren Bacall, qui vient de fêter en septembre dernier ses 88 ans, ne reçut certainement pas pour l'occasion de cartes d'anniversaire de deux de ses anciennes collègues, Martha Vickers et Dolores Moran. La première raison qui explique cela est que Martha et Dolores sont respectivement décédées en 1971 et 1982 ce qui serait déjà suffisant pour justifier leur absence au courrier. 

La seconde raison est que Lauren Bacall, en 1946, avait déjà tué, métaphoriquement s'entend, Martha et Dolores, deux actrices aussi jolies et talentueuses que madame Bogart mais qui n'avaient eu qu'un tort : ne pas être elle.

Dolores Moran

Martha Vickers









































Dolores Moran devait être, du moins sur le papier, la révélation de l'adaptation du roman d'Ernest Hemingway "Le port de l'angoisse". Martha Vickers, pour sa part, était supposée être distinguée dans "Le grand sommeil" d'après Raymond Chandler. Elles avaient hérité toutes deux de rôles suffisamment intéressants pour enfin quitter la relative obscurité dans laquelle elles végétaient depuis qu'elles avaient arrêté leur carrière de mannequin. Dans "Le port de l'angoisse", Dolores avait une aventure avec le premier rôle, dans "Le grand sommeil", Martha était sauvée par le premier rôle.

Sachant que plus vous êtes proche du héros, plus votre temps de présence à l'écran est important, et sachant également que plus votre temps de présence à l'écran est important, plus vous allez être remarqué, sachant enfin que plus vous être remarqué, plus grandes sont les chances que le téléphone sonne une fois le film sorti, Dolores et Martha avaient donc de bonnes raisons de penser que le temps des vaches maigres était terminé. 
















Entre alors Lauren Bacall, 20 ans, aucune expérience notable à son actif si ce n'est une couverture du magazine Harper's Bazaar, mais parfois une une suffit à faire toute la différence. 

L'histoire est fort connue et si caricaturalement hollywoodienne qu'on pourrait la croire inventée par un service de presse : c'est en feuilletant le dit-magazine que l'épouse d'Howard Hawks, qui doit réaliser les deux films, remarqua Lauren et conseilla à son époux de la rencontrer. Hawks fut tant ravi par son tête à tête avec le jeune mannequin qu'il lui signa aussitôt un contrat d'exclusivité, faisant de Lauren Bacall  la première actrice de son futur cheptel. 





















Lauren était belle, certes, mais elle possédait une qualité rare : être le sosie quasi parfait de l'épouse d'Hawks, la très chic Nancy Slim Hawks, future héroïne involontaire et mécontente du dernier roman inachevé de Truman Capote. Egerie de la côte ouest comme elle deviendra celle de la côte est après avoir épousé en secondes noces l'agent Leland Hayward, Slim va s'occuper personnellement de Lauren, lui confiant sa garde-robe et quelques conseils pour s'assurer les faveurs de son époux. Car Hawks est fou de son épouse, dont il ne parvient toujours pas à réaliser qu'elle a répondu "oui" à sa demande en mariage. 






















Slim, la Bacall originale.





















Dolores Moran va rapidement découvrir pendant le tournage du "Port de l'angoisse" qu'on ne peut rien contre l'amour d'un mari pour sa femme. Malgré une aventure avec son réalisateur (qui bien qu'homme amoureux n'en était pas moins infidèle), elle verra son rôle rogné, ses scènes coupées, pour faire de la place à Lauren qui pendant ce temps tombait amoureuse de Bogart. 

Martha Vickers, deux ans plus tard, devra faire face non plus à l'obsession d'Hawks mais au nouveau statut de Lauren qui a entre-temps épousé Bogart. Parfaitement inconnue en 44, Bacall est désormais la jeune femme que tout le monde veut voir et surtout une actrice qui a suffisamment souffert pendant le tournage de son second film après "le port de l'angoisse", un navet avec Charles Boyer auquel Hawks l'a forcé à participer, qu'elle compte bien ne plus se laisser faire.






















Armée d'un agent de publicité, Lauren va s'opposer au moindre détail qui la chiffonne. On retourne donc une scène parce qu'elle n'aime pas son chapeau, on change des dialogues parce qu'elle n'y est pas assez incisive. Elle y gagnera une réputation épouvantable mais Martha y perdra tout l'intérêt de son rôle. Lauren vient de faire sa deuxième victime.

Lauren et Howard

















"Le port de l'angoisse" et "Le grand sommeil" sont aujourd'hui deux classiques qui ont contribué à faire de Bogart... Bogart et de Lauren Bacall une icone du film noir. Ils auraient dû être des tremplins pour les carrières de Martha Vickers et Dolores Moran qui ne firent plus grand chose après ces essais loupés : Dolores arrêtera sa carrière en 54 et Martha passera à la télévision, sera pendant quelques mois l'épouse de Mickey Rooney et se retirera en 1960. 

Le double homicide que commit Lauren Bacall est évidemment involontaire et il serait plus judicieux de parler d'homicide accidentel avec préméditation. La chose peut sembler paradoxale mais le véritable coupable n'est-il pas finalement Howard Hawks ? Conclusion suave : Slim se séparera de son époux, lassée de ses liaisons et Bacall se libérera de son contrat avec son mentor sitôt le "Grand Sommeil" sur les écrans. 

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour toutes ces anecdotes. C'est quand même nettement plus intéressant et instructif que les cours barbants d'Histoire de France.

Bruno

charlus80 a dit…

Ces ''très suaves heures'' sont aussi croustillantes, drôles et instructives sur l'envers du décor hollywoodien que les chroniques d''Hollywood Babylon''. Mais plus que Kenneth Anger, vous êtes le J.V. Cottom des temps modernes.