dimanche 25 novembre 2012

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Travis Banton se vengea.


















Au début des années 30, Hollywood est sans doute l'un des endroits les plus excitants de la planète. Le traumatisme du parlant est passé, la plupart des grands studios ont trouvé leur rythme et la machine à fabriquer des stars est parfaitement huilée : Greta, Marlene, Claudette, Carole ou Joan règnent et cela va durer jusqu'en 1939 et la seconde guerre mondiale. 

Si nous connaissons bien la plupart des étoiles de cette période, certains noms ont un peu moins supporté l'outrage des ans, c'est par exemple le cas pour Nancy Carroll qui en 1931 était l'actrice Paramount recevant le plus grand nombre de lettres d'admirateurs. Surpassant Dietrich ou Mae West en popularité, en 1938 sa carrière cinématographique sera pourtant terminée et survivant sur scène et à la télévision, elle décédera en 1965 à l'âge de 61 ans, laissant derrière elle un peu moins d'une quarantaine de films tournés sur une période de 11 ans. 




















On ne peut que remarquer la cruauté d'un système, capable de faire d'une jeune femme de 27 ans une star (en 1930, Nancy Carroll est nommée pour l'Oscar de la meilleure actrice pour "The Devil's holiday" qu'elle loupe d'un cheveu face à Norma Shearer) et d'une actrice pourtant confirmée de 35 ans un produit périmé (en 1938 elle est cinquième au générique d'une nouillerie avec Deanna Durbin). Huit années pour une telle descente, cela semble un peu rude. 

Mais dans le cas de Nancy Carroll, il semblerait que le système ne soit pas le seul fautif. L'actrice aurait précipité sa propre chute et c'est notre belle histoire du dimanche. 



















Sorte de Clara Bow croisée Constance Bennett, Nancy Carroll va rapidement s'imposer comme une actrice tout terrain, aussi à l'aise dans le mélodrame que la comédie ou la comédie musicale puisqu'elle a fait ses classes à Broadway. Grimpant rapidement les échelons de la célébrité à la Paramount, elle va, dès 1928, avoir droit au traitement royal ce qui signifie alors l'assurance pour ses films de tenues dessinées par le maître du département costume : Travis Banton.

Autre "oublié" de cette époque, Travis Banton fut le premier costumier superstar, parallèlement à Adrian à la MGM c'est à dire dont le nom ne va pas tarder à sortir du générique pour s'imposer dans le monde de la mode. Banton ne fait pas que dessiner des robes, il façonne des images, crée des silhouettes et des personnages. Il sera par exemple le couturier attitré de Carole Lombard ou Claudette Colbert, ne parlons pas de Marlene Dietrich qu'il enveloppera de plumes, de lamé ou habillera d'un smoking dans "Coeurs brûlés/Morocco". 





On oublie souvent que Cléopâtre aimait le vert Granny Smith.

Si l'on se réfère à ce que l'on sait de lui, Banton était extrêmement spirituel, un peu piquant et légèrement alcoolique mais nous y reviendrons. Il avait surtout une bête noire à la Paramount, Nancy Carroll. Cette dernière n'avait pas mis bien longtemps à laisser éclater un caractère quelque peu difficile, se plaignant systématiquement des rôles qu'on lui attribuait, des partenaires qu'on lui allouait et des robes qu'on dessinait pour elle. Les essayages avec elle se terminait généralement en drame : hurlements, menaces et claquements de portes. 

Un pas de trop fut franchi en 1932 lorsque, en plein essayage d'une robe de soirée que Banton avait lui-même brodé d'une multitude de perles en verre, Nancy démontra une fois de plus qu'elle était un peu trop explosive et entreprit de réduire en lambeau la tenue qu'elle avait pourtant sur elle. Banton décida sur le champ que c'était la dernière fois qu'il s'occupait d'elle et au rendez-vous suivant, Nancy eut la désagréable surprise, affront suprême, de se retrouver, non pas face Banton mais à son assistante, une jeune femme qui n'allait pas tarder à se faire un nom : Edith Head.


















On peut imaginer la scène qui suivit : Nancy quitta le département costumes pour se précipiter dans les bureaux de la direction du studio, demandant à celle-ci de punir aussitôt le costumier malotru, agaçant au passage les dirigeants qui la voyaient un peu trop à leur goût. Mais on ne froisse pas, du moins pas encore, une star à la telle popularité. On convoqua donc, autre affront suprême, Banton afin qu'il s'explique, ce qu'il fit de façon relativement machiavélique, précisant qu'il ne pouvait plus habiller Nancy tant elle avait grossi. 

Un actrice difficile, passe, mais une actrice obèse : impossible ! Un mémo fut immédiatement rédigé et envoyé à tous les services de la Paramount, annonçant qu'en raison de sa prise de poids, Nancy Carroll était désormais soumise à un régime draconien. Interdiction donc de la nourrir d'autre chose que de la salade. Nancy n'avait évidemment pas pris un gramme, Banton avait sa revanche, suavement cruelle.

Terminés les fourreaux. 

Carroll, dans l'ombre d'autres pommettes...


































En 1934, la patience de la Paramount était épuisée et on fit signer un nouveau contrat à l'actrice, ne l'engageant que pour un film. L'année d'après, Nancy Carroll partait pour la Columbia où elle tourna 4 films qui marquèrent la fin de sa carrière. 

Banton pour sa part allait découvrir qu'il abritait une couleuvre en son sein. Engagée d'après ses croquis qu'elle avait en fait emprunté à un autre styliste, Edith Head n'entendait pas éternellement rester assistante à la Paramount. Elle commença donc, de façon discrète puis de plus en plus appuyée, à évoquer l'alcoolisme de Banton et à émettre l'idée qu'il affectait son travail. En 1938, au moment de renouveler son contrat, on fit comprendre à Banton qu'il pourrait trouver un autre studio et on nomma à la tête du service costumes Edith Head, qui occupera ce poste jusqu'en 1967.


















Qui sème le vent... disait on ne sait plus qui... Eole peut-être, non ?

1 commentaire:

Fabrice a dit…

Cette demoiselle Nancy Carroll devait avoir un caractère épouvantable car le très suave Travis s'entendait à merveille avec Marlene, qui était une grande professionnelle, ou une "emmerdeuse" d'après Coquatrix. Ils travaillaient ensemble pendant des heures et elle pouvait tout faire recommencer le lendemain si elle avait eu une nouvelle idée. Jusqu'à sa mort, Marlene a gardé une image positive de Travis dont elle admirait le talent. C'est très rare chez elle... Carol Lombard imitait les créations de Travis pour Marlene et cela les amusait bien.