dimanche 21 juillet 2013

Les très suaves heures de l'Histoire Contemporaine : le jour où Broadway devint folle.





















Au printemps 1930, une petite révolution va secouer Manhattan et surtout Broadway lorsque le très sélect Club Abbey va embaucher comme maître de cérémonie Victor Malinovski plus connu alors sous le pseudonyme de Jean Malin. 

Né en 1908, Victor/Jean s'était fait connaître en remportant plusieurs fois les concours du plus beau costume des bals transformistes organisés un peu partout dans Manhattan dans les années 20 et avait un temps travaillé comme chorus boy à Broadway avant de trouver sa place dans les cabarets de Greenwich Village.  






















Dans les années 20, le Village à New-York est incontestablement le lieu le plus LGBT de toute l'Amérique du Nord, une enclave à la fois protégée et reconnue qui figure par exemple comme telle dans les guides de voyage. Le New-Yorkais comme le touriste du Montana sait que, s'il veut se dévergonder un soir, les restaurants, les bars et les night-clubs du Village l'attendent et qu'il pourra y trouver des dames qui sont en fait des messieurs ou des messieurs qui sont en fait des dames. 

Encore plus exotique que les travesti(e)s, le Village regorge de folles, de tatas, aimablement appelées "pansies" ou "sissies" dont l'existence même perturbe le quidam qui voit bien un homme mais avec des allures de femme. Evidemment, la folle est un sujet de plaisanterie mais le simple fait que fleurissent dans la presse nationale des caricatures ou même des cartes postales humoristiques qu'on peut se procurer partout offre à la même folle une visibilité qui la sort des cabarets. Impossible d'ignorer en 1930 qu'elle existe et on commence même à la trouver sympathique. 























L'arrivée de Jean Malin à Broadway va marquer le début de ce qu'on va appeler la "Pansy craze", autrement dit la mode des tapettes, un engouement jamais vu jusqu'alors du public pour les folles. Au Club Abbey, Jean Malin n'accueille pas les clients en drag mais en smoking ce qui ne l'empêche pas d'être la reine des tatas et c'est d'ailleurs pour cela qu'on vient le voir. 

Si le public est fasciné, ce n'est pas exactement le cas de la police qui applique à la lettre la législation : tout rassemblement d'homosexuels ou de lesbiennes est un trouble à l'ordre public et donc interdit. Malgré la popularité dont il jouit, le Club Abbey reçoit régulièrement la visite des forces de l'ordre et après une descente de police de trop, ferme ses portes. 






















Son succès étant lancé, Jean Malin va quitter la côte Est et s'installer à Hollywood qui, avec un peu de retard, a également été happé par la "Pansy craze". On va donc le voir au cinéma, dans des films où il n'est pas rare que ses scènes les plus efféminées soient coupées (quand ce n'est pas son rôle en entier qui reste sur le banc de montage) mais surtout dans des night-clubs dont il devient le roi. 

Pendant trois ans, de 1930 à 1933, Jean Malin est LA personnalité la plus troublante et donc attirante de la capitale du cinéma. C'est bien simple, il est partout. 
























La carrière de Jean va être brutalement et stupidement stoppée lorsqu'en sortant d'un cabaret où il jouait à Venice Beach, il va visiblement confondre les vitesses de sa voiture et partir en marche arrière dans la mer. Il a 25 ans et meurt noyé, ses passagers s'en sortant mieux. La comédienne Patsy Kelly qui l'accompagnait terminera, elle, à l'hôpital. 

















Sans le savoir, Jean Malin aura été là au bon moment puisque avec l'installation du code Hays dès 1934, les folles vont disparaître des écrans. La fin de la prohibition en 1933 va pour sa part, intensifier les contrôles de police à tel point que tous les lieux ouvertement gays et lesbiens ne vont pas avoir d'autre choix que de devenir clandestins, ce qu'ils resteront jusqu'au début des années 70.  

La folle va cependant subsister à Hollywood mais de manière bien plus discrète et on ne dira jamais assez à quel point il convient de louer Edward Everett Horton ou Eric Blore, éternels célibataires, raffinés et un rien précieux. Suaves quoi. 























Mais tout cela, vous le savez si vous avez dévoré "The celluloid closet" ou l'indispensable "Gay New York" de George Chauncey. 























En même temps, il n'est jamais inutile de rappeler l'évident. Non ? 

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Une évidence de plus en plus gommée par la relecture incessante de la culture historique de nos sociétés par les pouvoirs en place. Jamais inutile ? Hautement nécessaire, même !
Pruneauxyz.

Anonyme a dit…

je viens de commander "celluloid closet" !